
J’ai la chance d’avoir une petite voix très bavarde. Elle est présente dans mon cœur, dans ma tête. Elle me conseille, m’oriente, me guide.
Le seul problème, c’est qu’elle me fait faire des choses complètement folles. Vous voyez, le genre de trucs où l’on part du jour au lendemain à l’autre bout du monde, sans travail, ni argent, juste pour voir comment c’est là bas. Et vous savez quoi ? Ben j’y vais. Je l’écoute.
J’en ai fait des trucs de dingue dans ma vie. J’ai créé un magazine, écrit des livres, conçu des Beauty Box, organisé des conférences, lancé un centre de bien-être, déménagé à 8000 kilomètres de mon lieu de vie avec mes deux enfants sous le bras.
Un jour, ma petite voix me poussait vers les relations presse, un autre jour vers le graphisme, une autre fois dans l’édition, ou encore dans le marketing ou l’événementiel. Elle donnait libre cours à toutes mes envies les plus folles, avec confiance et courage. Quand je repense à cette époque, qu’est-ce qu’on était heureuses toutes les deux…
Et ma petite voix me parlait sans cesse… Elle m’empêchait de réfléchir et même de dormir. Elle était toujours en mouvement. Ne se posait jamais. Elle avait toujours une idée à me suggérer pour laisser parler mon cœur et ma passion. On a ri comme jamais. On a vécu comme personne.
Mais les gens n’aimaient pas ma petite voix. Ils la jugeaient, la critiquaient. J’étais fatiguée de prendre tout le temps sa défense.
Alors un jour, j’ai décidé de grandir. J’ai réalisé que j’avais une vie décousue. Que ce n’est pas être adulte que d’écouter sa petite voix. Qu’il faut être responsable. Qu’il faut se poser. Qu’il faut avoir une vie comme tout le monde. Que l’on a des obligations.
Un soir, sans crier gare, j’ai étouffé ma petite voix. Je l’ai faite taire d’un coup, juste pour être comme tout le monde. J’ai commis mon premier meurtre. Je l’ai tuée lâchement, pendant qu’elle se reposait. J’ai vu son sang sur mes mains. Elle a poussé un dernier petit cri, puis elle s’est tue. Je l’ai observée, inerte. Enfin muette. Puis je l’ai enterrée.
J’ai décidé de reprendre ma vie tranquillement et de l’oublier. De travailler pour gagner ma vie. Comme tout le monde. En faisant des choses que je détestais. Comme tout le monde. Car c’est ça, la vie, Maya ! On ne peut pas faire la fête tous les jours ! On a des responsabilités. On ne va quand même pas être payé pour des choses qui nous amusent !
Mais un étrange sentiment de culpabilité m’envahissait avec les années. Le poids de ce meurtre. J’avais les mains sales dorénavant. Mais au moins, j’avais une vie comme tout le monde. C’était le prix à payer.
Ma propre voix s’amenuisait. Je laissais les autres décider ce qui était mieux pour moi. Et plus ils prenaient ainsi le contrôle de ma vie, plus ma gorge était douloureuse. Il m’était devenu difficile de parler, de chanter, de crier, de dire non. Ma voix était tout le temps tremblante, non affirmée. J’ai consulté des spécialistes, pensant avoir un cancer de la gorge ! J’ai sucé des milliers de Strepsils. Bu des litres de tisane avec du miel et du citron. Rien n’y faisait. Ma gorge m’étouffait. Ma vie m’étouffait. Les autres m’étouffaient. Je m’étouffais.
J’étais au bord du gouffre. Prête à sauter. Puis je l’ai entendue derrière moi. J’ai d’abord cru à une mauvaise blague. J’ai mis un pied dans le vide, prête à en finir avec cette vie de rêve qui était devenue un cauchemar pour moi. Puis je l’ai encore entendue qui prononçait mon prénom. C’était ma petite voix. Elle était bien là. De retour.
Mais je refusais de l’entendre. C’est impossible. Je l’ai tué il y a des années. Je me suis débarrassée d’elle. Je l’ai enterrée.
Elle était revenue pour moi, pour me sauver. On s’est assises toutes les deux au bord du gouffre, en regardant le vide en dessous. Elle s’est mise à parler pendant des heures, comme elle le faisait tout le temps. J’ai senti mes angoisses s’envoler. Mes douleurs s’envoler. Ma tristesse s’envoler. J’ai écouté ses histoires, échangé avec elle sur ses envies.
On a même convoqué notre fidèle ennemi, la peur. On lui a parlé, on l’a rassurée. Je l’ai sentie apaisée. J’aimais écouter le son de ma petite voix, ses rires innocents, ses délires pétillants. Mon cœur se remplissait de passion, de joie, d’une envie folle de chevaucher la vie. Elle avait ce pouvoir de m’insuffler une confiance sans faille et de désarmer mes craintes.
Alors je me suis redressée face au vide, et j’ai poussé un cri libérateur, puissant. J’avais retrouvé ma force, ma voix, enfin… ma voie.
C’est ainsi que j’ai tout plaqué, du jour au lendemain, comme j’en avais l’habitude, et que j’ai lancé un nouveau projet complètement fou, comme moi seule pouvais le concevoir. Avec passion et enthousiasme, et surtout, en suivant ma petite voix.